L’air était tout bonnement étouffant. La salle des fêtes de ranch-city, la ville dont je ne me souvenais même plus le nom, aurait aussi bien pu recevoir la compétition inter-écoles de pétanques du dimanche matin. Tout cela manquait non seulement de classe, mais aussi d’hygiène et d’intérêt. Je maudissais mon père de m’avoir envoyé ici. Il était quelque chose comme 23h, et dans mon dos, la fête party de plouc-land touchait déjà à sa fin, à l’heure parisienne où, d’habitude, j’enfilais mon costume Boss pour me préparer à rejoindre les soirées privées les plus huppées. Là où j’avais un nom, une tête connue. Mon bourgeois d’anglais de père avait orchestré ce départ de dernière minute dans mon dos, annulant tout autre voyage organisé. Lui qui avait fui l’Angleterre bourrine pour Paris la chic quand il n’était qu’un jeune adolescent, me renvoyait là-bas pour m’apprendre la vie ? J’ai sorti un étui en argent contenant mes cigarettes, en ai déposé une sur le bord de mes lèvres. Mon zippo n’avait pas eu le temps de franchir ma poche de pantalon qu’une vive flamme s’allumait devant moi, stable. J’ai haussé les sourcils, avançant ma bouche jusqu’à ce que le bout de ma cigarette prenne, inspirant une première taffe à pleins poumons. « De rien, Lloyd. » La seule personne sur cette terre qui ne m’appelait pas mon premier nom de famille plutôt que par mon prénom ou tout autre surnom stupide. J’ai hoché la tête lentement sans reculer, fixant mes yeux dans les siens un moment, ne voulant pas passer pour un faible. « Tu t’es finalement décidé à quitter Plouc-Land ? Il me semblait que tu t’amusais bien pourtant, avec la petite blonde du bar », j’ai lancé, un léger sourire accroché aux lèvres, un sourcil haussé légèrement plus haut que l’autre. « Tu piges rien à rien, hein Lloyd ? » J’ai froncé le nez, ne m’attendant pas à une réponse ainsi formulée. De quoi parlait-il encore ? J’ai tiré une nouvelle taffe de ma cigarette, pendant que l’autre s’approchait de plus belle, collant sa joue à la mienne pour venir me murmurer dans l’oreille : « J’en ai rien à foutre des jolies blondes. » J’ai reculé d’un ou deux pas, tournant la tête pour observer le crépuscule, au loin. Une étrange sensation venait de naître dans le bas de mon ventre que je tentais désespérément de calmer. « Fous le camp. » J’ai secoué la tête pour lui interdire de faire un quelconque pas de plus, et j’ai jeté ma cigarette pour regagner l’intérieur. « Tu ne pourras pas fuir éternellement, Lloyd. Un jour viendra où tu seras trop faible pour tenir. »


Et il avait raison. Aidé par mon ami l’alcool, que j’avais soigneusement subtilisé dans un mini-bar, et au prix d’effort incroyable pour le faire descendre le long de ma gorge (sans rire, ce whisky devait avoir deux jours d’âge…), je me suis retrouvé dans un état joyeux largement passable, et il a choisi ce moment là pour interrompre mon trip… dans un champ. « Bordel Lloyd, tu m’as l’air bien amoché ce soir… » Une clope au bec, sa chemise un peu trop ouverte, il s’est allongé à côté de moi, posant sa main chaude sur ma bouteille de whisky, au dessus de la mienne. Mon cerveau tournait à 2000 à l’heure. « Partage au moins, fais pas ton rat. » J’ai laché la bouteille qu’il a emmené à sa bouche, les lèvres goutant avidement la liqueur immonde. Le whisky volé à mon père pendant nos grosses soirées dans mon hôtel particulier de Paris me manquaient. « C’est vraiment dégueulasse… » J’ai acquiescé, tendant la main pour récupérer la bouteille. Mais il l’a reporté à sa bouche, prenant une longue gorgée sans grimacer. Puis il l’a posée derrière lui, et sans dire un mot, s’est légèrement redressé. Appuyé sur son coude, il s’est rapproché de moi, tandis que les petites voix dans ma tête m’ordonnaient de fuir. Mais je n’ai pas bougé. Il s’est placé de manière à être légèrement au dessus de moi, et à descendu sa tête jusqu’à ce que nos lèvres se croisent. J’ai froncé le nez tandis que l’étrange sensation de mon bas ventre se réveillait, et j’ai ouvert la bouche sans faire un geste de plus. Lorsqu’il a ouvert la sienne pour m’embrasser d’un vrai baiser, le liquide amer et immonde a glisser dans ma gorge, me faisant tousser et monter les larmes. Il a rigolé légèrement, passant un doigt sur le coin de ma bouche, puis est venu rechercher mes lèvres, doucement, sans faire de commentaires, se départissant de ses répliques fringantes habituelles. Il a posé une main sur mon torse, prolongeant son baiser, moi me refusant à me détacher ou à l’interrompre, conscient que c’était sans doute ce dont je rêvais depuis déjà quelques jours. « Edward ? Eddiiiiie, t’es là ? » Mon sang s’est glacé dans l’intégralité de mon cœur et je l’ai poussé d’un coup sec, me redressant à la va-vite en récupérant la bouteille de whisky. « Bouge pas, toi », ai-je lancé à son adresse, apercevant Soline un peu plus loin, arriver en zigzaguant. Il est resté allongé par terre, le regard perdu et triste, à l’abri des hauts blés. « J’suis là, j’arrive. » J’ai jeté un dernier regard à son attention, me suis essuyée les lèvres d’un revers de la manche, et me suis éloigné vers Soline, qui souriante, m’a ouvert les bras, complètement allumée elle aussi.